N'importe quoi /Je t'appelais dans la nuit/Pour te dire/N'importe quoi...

Neuvième journée de vacances et troisième journée avec internet. Je travaille tant que je n'ai pas le temps d'écrire beaucoup sur mes vacances. L'entrée précédente reflète bien mon état d'esprit: même en vacances, mon cerveau fonctionne à 100%. Comme en temps normal je suis trop fatiguée pour travailler à 100%, personne n'est vraiment surprise que, reposée, je travaille plus.

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Aujourd'hui, on remplace les poteaux électriques dans le quartier où nous restons. Il ny a donc pas d'électricité. Nous sommes dans un café, le même qu'hier, pour travailler un peu. Dans quelques minutes, nous allons chez ma mère chercher notre fils, pour qu'il passe un peu de temps avec la plus jeune de @couac3. Le Chaton nous a exprimé son désir de revoir "son amie" G. Il faut comprendre que le Chaton refuse d'avoir des amis parmi ses collègues de garderie ou même parmi les voisins. Il est extrêmement rare qu'il accepte le fait qu'il pourrait avoir des amis. Qu'il affirme que G. est son amie est presqu'un miracle.

Nous mangerons des croquettes de poulet ce soir, bien sûr.

Nous comptons reconduire le Chaton chez sa Mémé vers 19h. Comme il y a une grosse fête familiale samedi prochain, nous le reverrons à ce moment-là. Demain, Mamou, @couac3 et moi avons notre dernière soirée d'adultes. J'espère jouer à Martian Dice, ou même à SmashUp, que je viens d'acheter.

Je quitte ici, puisque mon rôle de mère m'appelle. 

« Borderlands are treacherous ». _Alif the Unseen_ de G. Willow Wilson.

 Version courte: Courrez acheter ce livre!

Version longue: Enfin de la science-fiction musulmane qui est écrite du point de vue des musulmans et par une musulmane! C'est rafraichissant en plus d'être bon et bien écrit.

L'Américaine G. Willow Wilson s'est convertie au début des années 2000 (je pense) pendant un séjour en Égypte. Je sais qu'elle raconte sa démarche et les événements qui l'ont déclenchée dans The Butterfly Mosque, que je n'ai pas lu. Cela n'a pas beaucoup d'importance pour moi. Ce qui compte est qu'elle parle de l'Islam de l'intérieur. Son cas est spécial, bien sûr, puisqu'elle n'est pas une musulmane d'origine, mais plutôt une "cultural broker" comme on dit en anthropologie. Elle occupe une position liminale, une Américaine qui est passé dans une autre culture sans pour autant avoir quitté sa culture d'origine et qui peut parler des deux, exprimer le dialogue entre les deux. Alif the Unseen a été écrit en anglais par une Américaine, ce qui explique sa publication aux États-Unis. Il est à peu près impossible de trouver de la sf/f arabe ou musulmane traduite en Occident, mise-à-part A Mosque Among the Stars, le seul cas que je connaisse.

Comme Wilson sert de cultural broker traversant les limites entres les deux mondes arabe et américain, la liminarité est au coeur de son roman. L'histoire raconte les aventures d'Alif, un programmeur "grey hat", lui-même mi-Arabe, mi-Indien, dans la cité-état d'un émirat anonyme de la péninsule arabique. La ville est divisée entre le Vieux Quartier, où habitent les classes aisées et l'effroyablement nombreuse famille royale, et le Nouveau Quartier, où résident les nouveaux riches du pétrole et les étrangers qui en profitent. Entre les deux, se trouvent de nombreux quartiers indistincts et indéfinis où vivent les milliers d'immigrés de toutes origines et de toutes couleurs, en mélangeant langues, cultures et cuisines. Dans un de ces quartiers, le District de Baqara, vivent Alif (la première lettre de l'alphabet arabe, le nom qu'il s'est donné en ligne), sa mère et leur bonne, sa voisine et amie d'enfance, la dévote Dina, et Abdullah, le propriétaire du magasin d'électronique plus ou moins légal Radio Sheikh. Alif est le fils de la deuxième épouse d'un riche arabe dont la première femme est apparentée par alliance à la noblesse et qui réside dans le Vieux Quartier. À cet endroit demeure aussi Intisar, l'épouse clandestine d'Alif, rencontrée sur internet et promise à un riche membre du gouvernement.

Entre tous ces gens et tous ses quartiers, au travers de cette cité en pleine expansion, il y a le Quartier Vide et les jinns, les génies de toutes sortes, ceux-là mêmes qui traversent les histoires des Mille et une nuits et les sourates du Saint Coran. Dans ce monde des Invisibles ("the Unseen"), le temps et l'histoire passent comme dans le monde des humains (les beni adam, littéralement "ceux qui sont faits de boue"). Au cœur du Quartier Vide, dans la cité des jinns (Irem, la Cité des Piliers, mentionnée dans le Coran), il y des bars avec des téléviseurs synthonisant Al-Jazeera et l'internet haute-vitesse sans fil; les ordinateurs du Quartier Vide sont aussi fabriqués par Dell et Sony et sont autant victimes des mêmes virus que les nôtres.

Au centre de l'histoire se trouve un livre manuscrit du 14e siècle acheté par Intisar en préparation de sa thèse, la seule copie en arabe survivante des Mille et un jours, le livre que François Pétis de la Croix a publié en 1710-1712. Dans le monde d'Alif, les Mille et uns jours ne sont pas une piètre tentative de profiter du succès de la traduction des Mille et une nuits par un orientaliste français. Ici, le Alf Yeom est un authentique texte jinn, dicté par un effrit (un esprit de feu) à un sage arabe  qui le tenait prisonnier. Un programmeur de la Sécurité d'État veut prendre possession de ce livre afin d'appliquer les codes qu'il contient pour contrôler l'internet du pays et mieux censurer la dissidence, voire surpasser en finesse le "Great Firewall of China".

Les bons gagnent à la fin et les méchants sont punis. Le héros a la fille. Je ne révèle rien ici qui n'est pas prévisible dès le milieu du livre et cela est sans importance. Alif the Unseen est plutôt un roman portant sur la résilience de la foi, sur l'immuabilité du Coran, sur la littéralité qui est néanmoins multivalente et sur l'acceptation de la transcendance. Voici un autre livre que j'achèterai à tous la version française dès que je serai devant mon ordi à la maison pour en commander une demi-douzaine.

En vacances: Écrit le 5 juillet à 9h00

La nuit du Mamou fut merveilleuse. Celle du Chaton fut très bonne, une fois que le très méchant cauchemar de 22h fut passé. Ma nuit fut plutôt mauvaise; j'ai eu froid, j'ai eu mal, c'est un mauvais lit. Mais quel silence! S'il l'on exclut les ronflements de mon fils et les cris du très énorme ouaouaron qui nous voisine, ce fut le silence complet. J'aime.

Ce matin, le Chaton et le Mamou ont énormément d'énergie et comme nous sommes "dans le chalet à côté du lac", ils ont beaucoup de plaisir. Ils doivent partir faire du pédalo avant que la chaleur ne nous tombe dessus pour de bon. On annonce 30°C aujourd'hui. Il doit déjà faire 26°C.

Pour ma part, je reste dans le chalet. Je compte faire la vaisselle, me reposer et écrire un peu.

Tiens, ils ne vont pas faire du pédalo, puisqu'ils vont "chez le dentiste". Ok.

En vacances: Écrit le 7 juillet, vers 13h.

Ouf! Que d'aventures!

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 Le 5, après le dodo d'après midi, mes deux hommes ont fait une corvée de bois pour le feu de camp, une première corvée de bois entre père et fils. Comme nos invitées sont arrivées plus tard que prévu, nous avons soupé sans elles. @couac3 et ses filles sont arrivées vers 19h. Elles ont grignoté et nous avons fait quelques parties de Huit. J'en ai même gagné une. Moi qui joue aux cartes, c'est déjà quelque chose, mais qui en gagne une, c'est tout un événement. Je ne suis pas une bonne joueuse de cartes, mais là pas du tout.

Le couché du Chaton fut plus facile que prévu, mais il a fait un cauchemar vers 23h30. Heureusement, et à la surprise générale, il nous a appelé (une première) et il s'est rendormi rassuré en quelques minutes. Une bonne nuit pour tous.

Le 6 juillet, journée pleine avec la gang! Elle fut parsemée de fous rires et de parties de divers jeux. Le Chaton a adopté G comme "son amie" et ils ont joué ensemble toute la journée. Comme le Chaton nous explique généralement avec force détails qu'il n'a pas d'amis, le fait qu'il nomme G "mon amie" est un grand événement. Il ne voulait d'ailleurs pas se coucher parce qu'il avait peur qu'il ne soit plus là ce matin. Il a fallut le convaincre qu'elle y serait pour qu'il s'endorme. Pas de cauchemar.

Le réveil fut tôt ce matin, à 5h pour le Chaton et Mamou. Je suis restée au lit et me suis levée peu après 8h (Dora était commencé à la télé). Les autres se sont levées plus tard encore. J'ai lu, les filles aussi. Le Chaton a continué à joué dans le solarium en utilisant les grandes portes comme les portes du Métro ou d'ascenseur et il a fait de longs voyages pour sauver "Linda le Lama", comme dans Diego. Misère… au moins il a du plaisir.

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La soeur de Mamou, son mari, leur fille, sont arrivés pour le lunch dans la cohue générale, comme d'habitude. @couac3 et ses filles sont reparties vers 12h45, alors que la petite famille, Mamou et le Chaton sont partis en chaloupe sur le lac avec une gilet de sauvetage "pour plus de sécurité" comme le rappelle le Chaton à tous les 5 secondes. Mon plus vieux neveu et sa blonde sont arrivés il y a quelques minutes à vélo de Montréal, en nage et affamés. Ils mangent. Je tape ses lignes.

Ce soir est notre dernier au chalet. Demain, nous prenons la route pour Québec en milieu d'après midi pour la partie urbaine de nos vacances. Je mettrai cette entrée en ligne alors.

En vacances: Écrit le 4 juillet, 20h15

Première et deuxième journées de vacances

 Nous sommes partis après le lunch en direction du micro-village de Franklin, voisin du petit village de Ormstown, au sud de Valleyfield, pour passer notre première nuit de vacances dans une cabine, ou "le chalet à côté de la piscine" selon le Chaton. Nous avons d'ailleurs profité de ladite piscine et je peux dire qu'il est près à apprendre à nager. Nous avons mangé dans un "restaurant familial" qui tentait d'imiter un diner américain des années cinquante. La tentative est un échec, mais notre table était voisine du poste de télévision où jouait La Femme bionique; mes deux épisodes préférés, le premier épisode avec Max le chien bionique ("attaque-attaque-attaque") et Fembots in Las Vegas!!! Le Chaton a demandé de manger des croquettes de poulet. De retour à notre cabine, nous avons couché le Chaton et avons écouté nos podcasts jusqu'à 22h. J'ai mal dormi, le Chaton aussi, mais Mamou a dormi comme une buche sur le gallium.

Levés de bonne heure, nous avons profité du petit déjeuner fourni, mais nous avons du endurer le DVD d'inspiration chrétienne de droite-plus-évangéliste-que-ça-tu-meurs. Le domaine offre des forfaits pour les retraites religieuses, après tout. Les "exégèses" étaient en anglais, nous épargnant beaucoup de questions de la part du Chaton. Pendant que je refaisais les valises, Mamou et le Chaton (les deux inséparables) ont joué dehors, puis nous avons pris la route pour le Parc Safari, à 45 minutes de là.

Nous avons fait le circuit en auto, sans avoir acheté de nourriture pour les animaux parce que nous sommes cheap. D'autres visiteurs avaient apporté d'énormes sacs de carottes et de salades, en infraction au règlement du Parc. Les animaux ne semblaient pas voir la différence; ils mangeaient goulument. Nous avons vu l'éléphant, les girafes, plusieurs types d'antilopes et de cervidés, des autruches et un émeu, et bien d'autres. Néanmoins, le Chaton affirme que ce qu'il a préféré entre tout sont les énormes girafes en métal à l'entrée du circuit. Il a même demandé à les revoir avant de quitter le site.

Après un repas dans un des restos du Parc (des croquettes de poulet, encore), nous avons décidé de nous promener à pied un peu… et nous avons pris la pluie. Mais la pluie! Nous étions trempés jusqu'aux bobettes. Nous avons vu les chimpanzés, les marabouts, la pluie, les loups, la pluie, puis nous avons enfin atteint le sentier des félins, où l'on peut marcher dans des tunnels de verre à travers les enclos des lions et des tigres. Nous étions mouillés, les lions étaient mouillés. Nous avons découvert que des couilles de lion mouillées ressemblent à cela.

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Le soleil est ressorti, je suis allée à la boutique principale du site (j'ai eu quelques malaises, les représentations des africains et les chapeaux de colonisateurs… moins mettons…). Pendant ce temps, le Chaton a regardé les mascottes se grouiller le derrière de peluche en bilingue sur la scène. Puis nous nous sommes changé avec des vêtements secs et nous avons pris la route. 

Nous sommes maintenant à Racine, au Lac Brais. Le chalet n'a pas changé depuis l'année dernière. Mais nous n'avons pas encore les clefs. Le vieux monsieur qui gardait les clefs pour les locataires est mort cet hiver et personne ne sait où sont ces clefs. On nous a ouvert, mais pas de clefs pour nous encore. Le Chaton dort dans le même lit que l'année dernière, après avoir pris un bain bien mérité. Mamou est sur le balcon trois-saisons tentant d'apprendre les règles de Settlers of Canaan, et j'écris ces lignes sur la table de la cuisine. Dans quelques minutes, je me lave, puis je me couche, dans le silence complet de la campagne sauvage…

Ce blogue prend une petite pause...

Le Chaton, Mamou et moi partons en vacances aujourd'hui en pm et allons nous perdre dans les bois pendant quelques jours. Pour ceux qui se posent la question, nous allons dans les Cantons de l'Est, dans un chalet appartenant au camp d'été où la famille de Mamou envoie traditionnellement ses enfants depuis des générations. Mamou y est allé campeur, puis moniteur et il fait maintenant par du conseil général. Le Chaton y ira comme campeur dès l'âge de sept ans, qu'il le souhaite ou non.

L'avantage de ce chalet est qu'il offre une vue imprenable sur le lac, donne accès à ce lac pour la baignade et le canot, offre toutes les commodités de la vie moderne, dont un énorme balcon avec moustiquaires et vue sur le lac, un téléphone, mais pas de câble ni de satellite, pas d'accès internet et encore moins d'accès cellulaire. À moins que les millionnaires sur l'autre rive du lac aient fait installer une tour répétitrice pendant l'année dernière, je serai, comme on dit en italien et en anglais, complètement "incommunicado" pendant 6 jours.

Je compte écrire des rapports de vacances, mais je ne pourrai les mettre en ligne qu'à mon retour à la civilisation.

Pendant ce temps-là, nous aurons quelqu'un à la maison pour surveiller les portes, ramasser le courrier, profiter de notre câble et arroser les plantes. 

Sur ce, à + ! On se revoit le 9 juillet.

Chaton au chalet l'été dernier. De longues journées mouvementées demandent de longs sommes réparateurs.

Chaton au chalet l'été dernier. De longues journées mouvementées demandent de longs sommes réparateurs.

Nous sommes des immigrants. Il faut l'admettre.

 

Mon fils, qui va dans un service de garde en milieu scolaire public, est préparé à entrer dans le milieu scolaire public. Cela va de soi. Dans le système scolaire public en Ontario, on forme des citoyens canadiens, fiers et patriotiques. Soit.

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Cela implique le salut au drapeau en chantant le O Canada! tous les matins. Ainsi, mon fils apprend à chanter l'hymne national canadien, à reconnaître le drapeau canadien et à fêter la Fête du Canada Day. 

Depuis une semaine, comme les magasins sont bariolés de rouge, de blanc et de l'unifolié, mon fils passe ses journées à chanter le O Canada. Ou plutôt deux lignes du O Canada. Toujours les deux mêmes, "O Canadaaaa. Ton histoire est une épopée-é-e. O Canadaaaa. Ton histoire est une épopée-é-e. O Canadaaaa." Sans arrêt. C'est cute et tout. Les vieilles dames à l'épicerie sont attendries.

 Moi, je me passerais bien de son patriotisme public naissant. Il est beaucoup trop jeune pour qu'on lui explique les subtilités de la propagande scolaire, et nous ne voulons pas lui causer des problèmes à l'école où le nationalisme québécois est perçu et enseigné comme une mauvaise chose. 

Nous sommes des émigrants en Ontario, dans un autre espace national, faute d'être dans un autre pays. Au moins, si nous étions dans une autre province, en Alberta ou en Nouvelle-Écosse, il y aurait une fierté provinciale qui au moins rempli un espace équivalent au patriotisme québécois et qui contrebalance en partie le patriotisme canadien. Il n'y a rien d'équivalent en Ontario. Il n'y a que la fierté canadienne. Il est très difficile de trouver un drapeau ontarien en Ontario. Ailleurs au Canada, les drapeaux provinciaux sont beaucoup plus présents, pas autant que le drapeau québécois au Québec, mais presque. Rien de cela en Ontario. Mon fils ne sait pas reconnaître le drapeau ontarien, malgré nos efforts. Quand nous allons à Gatineau, il ne comprend pas pourquoi les "drapeaux du O Canada" sont si rares.

Je ne sais pas quoi faire. Je ne veux pas lui causer du tord à l'école mais je ne veux pas qu'il avale le patriotisme canadien tout rond. Je voudrais qu'il soit attaché au Québec, mais nous élevons un Ontarien, au moins jusqu'à ce que nous déménageons.

En attendant, je dois enduré que mon fils chante le O Canada et se promène avec son drapeau canadien en papier dans la maison,  parce que cela lui fait si plaisir...

...misère... 

 

Réflexions sur The Ocean at the End of the Lane de Neil Gaiman.

 

Version courte: Maudit que c'est bon!

"gnarl", photo de tournevis, 2005

"gnarl", photo de tournevis, 2005

Version plus longue: C'est vraiment très bon. Ce roman court, à peine plus long qu'une novella, présente les souvenirs d'enfance ravivés chez un homme de l'âge de Gaiman qui vient d'enterrer son père dans la petite ville d'Angleterre où il a grandi. Attiré sans trop savoir pourquoi à la vieille ferme Hempstock au bout du chemin où il résidait enfant (le chemin titulaire), le narrateur retrouve le souvenir de ce qui s'est passé quand il n'avait que sept ans et qu'il a rencontr le surnaturel comme il n'en existe que dans les Îles britanniques. Ce sont peut-être des fées, dans le sens ancien du terme. Ce sont certainement "the little people" dans le sens le plus macabre et dangereux du terme. Madame Hempstock, mère, se souvient du big bang, après tout.

Même pour un lecteur adulte, les événements racontés par Gaiman sont terrifiants, d'autant plus que l'enfance réelle de Gaiman s'y trouve parsemée. Comme le postscript l'indique, si les événements du livre sont imaginaires, les lieux décrits sont bien réels: ce sont sa maison d'enfance, son chemin d'enfance, la vraie ferme au bout du chemin qui existe vraiment depuis le Doomsday Book de Guillaume de Conquérant, et la MIni Austin blanche de son père dans laquelle s'est vraiment suicidé leur pensionnaire sud-africain quand Gaiman avait sept ans. La tentative d'infanticide est inventée, mais elle n'en est pas moins épouvantable.

L'histoire est inventée, soit, mais la terreur envers le monde d'un enfant un peu bizarre pour qui les livres sont la seule échappatoire, elle, est bien réelle. Elle l'était pour Gaiman quand il était petit. Elle l'était pour moi aussi. La plupart des adultes oublient cette terreur au fil du temps, comme le narrateur oublie ses visites à la ferme Hempstock d'une fois à l'autre. Que cet oubli soit causé par Madame Hempstock, fille, ou par la nécessité de l'âge adulte n'importe pas. Ce qui importe est que quelques artistes comme Gaiman (et comme Tim Burton, d'ailleurs) ne l'oublient jamais. Il en résulte dans toute l'oeuvre de Gaiman, l'assurance que l'enfance est une période plus sombre que ce que les adultes n'osent s'avouer, où les monstres sont bien réels, même s'ils sont inventés, et que le vrai monde est grand, compliqué et dangereux. La mort est là. La peur est là. Les mystères sont tout autour de nous. Les adultes choisissent simplement de ne plus les voir. Coraline et Nobody Owens en ont fait l'expérience et en ont bénéficié; ils en ont sortis grandi, littéralement dans le cas de Nobody. Dans ces deux livres pour tout âge, la rencontre avec le surnaturel est un pas vers la découverte de soi. Dans Ocean, seul l'oubli permet de continuer à vivre sans trop de dommage. Toutefois, le narrateur grandit et devient meilleur en vieillissant, et il retourne sans s'en souvenir voir l'océan au bout du chemin, pour se montrer à la petite Lettie Hempstock, avec qui il a frôlé la mort et qui s'est sacrifiée pour lui. Parce "qu'on ne peut pas échouer à être une personne", même quand on fait des erreurs, même quand on choisit le mauvais conjoint pour nous, même si les choses sont difficiles et tristes.

Les lecteurs avides de Gaiman retrouveront beaucoup de points communs avec ses romans précédents, romans jeunesse comme pour adulte. Ceux qui s'attendent à un pavé comme Good Omens ou American Gods seront peut-être déçus de sa brièveté. Ils auraient tords. On retrouve ici Gaiman au sommet de son art. Son style est achevé et précis comme un scalpel. L'histoire est complète et ne pourrait pas être plus longue. Alors qu'American Gods et Anansi Boys laissaient des portes ouvertes, assez grandes pour que le premier soit adapté et étendu sur 6 saisons par HBO, on ne pourrait ajouter une ligne de plus à Ocean.

Comme je le disais sur twitter hier ou avant hier, dès qu'il est traduit en français, je le donne à tout le monde.

Et ils ne verront plus jamais une vieille couverture grise de la manière.