Mon analyse de la #Charte des valeurs québécoises

Mieux vaut tard que jamais. J'avais prévu cette entrée il y a trois semaines, mais la vie étant ce qu'elle est, je n'ai pu la mettre au propre avant aujourd'hui. J'en ai long à dire. Je vous présente donc une analyse sur plusieurs angles, car la question est beaucoup plus compliquée qu'elle n'en paraît et c'est tout dire.

1) Ce projet de loi n'est pas que cela: un projet. Il sera modifié. Drainville est têtu et opiniâtre, mais il n'est pas stupide, ni Lisée, ni Marois. Cette dernière n'est pas une gentille personne et est convaincue de sa science infuse (un trait qui date des débuts de sa carrière, quand elle faisait des brainstormings dans la cuisine de ma mère), mais elle sait qu'elle ne pourra pas rester au pouvoir sans compromis. Elle a déjà prouvé qu'elle est peut reculer lorsque nécessaire et ce sera nécessaire. Les compromis sont imminents. On rapporte déjà ce matin que le gouvernement réfléchit à enlever le crucifix du parlement.

2) Ce projet de loi est en fait plusieurs projets distincts qui ont été mélangés au malaxeur et les mottons paraissent encore. Croyez-moi là-dessus, une grande part des problèmes et des incohérences viennent de là.

2a) Il y a d'abord le projet de loi visant à instaurer la neutralité religieuse de l'État québécois. Ce projet est dans l'air depuis près de 10 ans, datant du temps de Charest, mais il n'avait jamais été payant politiquement de le faire. La Commission Bouchard-Taylor est ce qui avait remplacé ce projet de loi sous Charest. Le déroulement de la Commission avait suffit à l'époque et le projet avait été remis sur la tablette avec les recommandations de Bouchard et de Taylor, Charest reconnaissant que ces dernières étaient un panier de crabe potentiel. Le projet actuel vise donc aussi à baliser (bien mal) les accommodements dans le cadre du gouvernement.

2b) Il y a ensuite le projet de loi cher à de très nombreux membres du Parti Québécois, républicains jusqu'à l'os, qui espèrent faire du Québec une république présidentielle à la française, en opposition à une république présidentielle à l'américaine. Comme le principe de la laïcité est poussée à l'excès en France, avec les dérapages inutiles des lois interdisant la burqa, ces membres du PQ tentent d'instaurer ce même régime au Québec. Le problème est que le Québec est une société libérale (avec une minuscule) et que l'idéal platonique d'une laïcité parfaite, en opposition à une neutralité pratique, est impossible à atteindre.

2bi) Depuis l'an 2000 environ, on a vu le départ hors du PQ de la plupart des tenants du républicanisme libéral à l'américaine. On l'est a entendus la semaine dernière, Parizeau, Landry et Bouchard. Ce sont des libéraux (minuscule), hardant défenseurs de la sociale démocratie dans un république présidentielle neutre (sécularisée, plutôt que laïque). De restreindre les droits individuels dans un Québec indépendant serait répugnant et contraire à leur vision. Les indépendantistes de gauche, comme ceux de Québec Solidaire, dont une grande part des membres sont aussi d'anciens péquistes, vont proposer sous peu un projet de charte qui justement sera cohérent avec ces objectifs: une charte de la laïcité et non une charte des valeurs; des balises plutôt que des restrictions.

2c) Il ne faut pas oublier que ce projet de loi a été rédigé par des fonctionnaires en réponse à des exigences de plusieurs membres du gouvernement. Il ne faut pas oublier non plus que ces mêmes fonctionnaires ont aussi des objectifs spécifiques que ce projet de loi pourrait régler. Il faut comprendre que le fonctionnariat de Québec est terrifié depuis les années 1990 à l'idée de perdre du pouvoir en faveur de Montréal. On sait tous que la majorité des ministres passent plus de temps à Montréal qu'à Québec et que les centres de décisions de plusieurs ministères majeurs sont à Montréal avec des bureaux administratifs à Québec. Cette résistance est un des nombreux facteurs qui prévient l'intégration d'immigrants et des minorités visibles dans le fonctionnariat, un problème systémique qu'aucun programme n'a jamais réglé. Ces mêmes fonctionnaires ont rédigé le projet de Charte des valeurs québécoises. Il me paraît évident à la lecture du texte que les restrictions sur les signes dits "ostentatoires" sont en fait une tentative de freiner le transfert des pouvoirs vers Montréal-la-multiculturelle.

3) Les incohérences de ce projet de Charte sont évidents, mais j'ai été surprise par le fait qu'ils étaient moindre que je le craignais.

3a) D'abord, il est évident que ceux qui ont écrit ce texte ne connaissent pas la définition du mot "ostentatoire". Si l'on examine les signes interdits et les signes permis pas la Charte, il est évident que les rédacteurs sont parfaitement confondus. Ce mot n'est pas un simple synonyme de "distinctif" ou de "visible". Si l'on se fit au Larousse (le plus conservateur des dicos), l'ostentation est une "Affectation qu'on apporte à faire quelque chose, étalage indiscret d'un avantage ou d'une qualité, attitude de quelqu'un qui cherche à se faire remarquer." Le foulard musulman et la kippa juive sont des signes de modestie. Par définition, ils ne peuvent pas être des signes ostentatoires*. À l'opposé, un énorme crucifix doré sur centré sur un mur de manière à ce qu'ils soit impossible de ne pas le voir, ce crucifix est ostentatoire. Des bijoux, même les plus discrets, sont ostentatoires: ce sont des parures!

3b) Justement, plusieurs des bijoux proposés n'existent pas! Je n'ai jamais de toute ma vie vue des boucles d'oreilles avec un croissant ou une étoile de David. Un pendentif en étoile de David, oui, un pendentif en kirpan, aussi. Au mieux, Drainville espère relancer l'industrie de la joaillerie au Québec.

4) Le plus grave problème, cependant, avec tout ce boucan est le féminisme libéral et la volonté de "libérer" les femmes musulmanes du "voile islamiste". Personne n'est assez naïf pour croire que toutes les femmes musulmanes portent un voile (peu importe la forme) contre leur gré. Il y a beaucoup de femmes qui sont forcées de se couvrir par leurs familles, conjoints, paires, conventions sociales ou lois. Il y en a au Québec aussi. Cependant, et c'est important de le dire, tous les voiles ne sont pas égaux. Toutes les formes de voile sur la Terre (musulmans ou autres) sont le produit de conventions sociales et de traditions, qui souvent précèdent la conversion des peuples qui les maintiennent. J'inclue ici les voiles chrétiens orthodoxes aussi. Le Coran demande aux femmes de se couvrir la tête par modestie. C'est tout. C'est tout. Donc, une croyante musulmane qui souhaite être dévote (c'est son droit!!!) doit se couvrir la tête. Dans une société libérale, c'est son droit et son choix. Savez-vous quoi? L'écrasante majorité des musulmanes du Québec portent le voile de leur plein gré! C'est leur choix! Elles devraient avoir le choix de porter le voile, le foulard, qu'elles désirent. On parle, après tout, d'un fichu.

4a) J'avoue, je ne comprends pas le port du voile intégral en Occident. Le Coran ne l'exige pas et toutes les questions de respectabilité et de classes sociales associées au niqab comme dans les Émirats, par exemple**, n'existent pas en Occident. Je suis en faveur du principe que lorsque le gouvernement ou la justice sont en jeu, tous devraient opérer à visage découvert. Savez-vous quoi? La majorité des musulmans sont d'accord ça aussi! Le niqab au Québec, par ailleurs, est l'affaire d'une toute petite minorité. Le chiffre qui circulait au moment des dernières élections était d'une centaine de personnes environ.

4b) Le problème avec de nombreuses féministes libérales est qu'elles voient de l'oppression où parfois il n'y en a pas. L'écrasante majorité des musulmanes que je connais (et j'en connais un tas) sont plus féministes que la plupart de mes étudiantes dites "libérées". Vous avez bien lu. Ces musulmanes ne tolèrent aucune discrimination envers elles et leurs filles, de la part que quiconque et dans tous les domaines. Elles choisissent de cacher leurs cheveux et leurs jambes, par modestie, et refusent que leurs droits à un salaire égal, des droits égaux et un traitement égal leur soient restreints. Elles croient plus en la société démocratique et libérale que mes étudiantes en décolletés plongeant et en thons. Dites-moi, qui est opprimé entre elles?

4c) Plusieurs personnes dans les médias on fait grand cas du fait que le foulard et le voile sont des symboles du patriarcat. Ces personnes, surtout des femmes, exigent que les musulmanes se dévoilent "pour leur bien". Je n'ai pas de mots pour exprimer l'hypocrisie de cette position. Je dois seulement rappeler qu'à la fin du 19e et au début du 20e siècles, les gouvernements (protestants) des provinces anglophones du Canada ont tenté d'interdire le port du voile chez les enseignantes religieuses et le collet romain chez les prêtres enseignants, pour instaurer un principe de neutralité dans les écoles publiques, au nom du progrès. Les Canadiens-français du Québec et d'ailleurs avaient alors exercé des pressions sur tous les niveaux de gouvernement, et se sont souvent rendus à l'émeute avec mort d'homme, afin d'assurer le droit des religieux d'exercer leurs fonctions d'enseignants. Maintenant, les arrière-petits-fils et filles de ces mêmes Canadiens-français veulent imposer les mêmes restrictions sur les musulmanes et autres, au nom de la neutralité de l'État et de la modernité. Voyez-vous la différence? Pas moi.

4d) Plusieurs personnes dans les médias ont déchirer leurs chemises avec des "pensez aux enfants!" À ces cris, je dis merde! Écoutez vos enfants. Ils ont mieux compris que vous ce que veux dire le voile musulman et les autres signes distinctifs des différents groupes culturels au pays. Mon fils, avant hier, m'expliquait que Madame Fatima du service de garde s'habille avec des longue jupes et un "fichu sur la tête" et Madame Bambi a plein de faux cheveux tous bouclés, "c'est beau", et Madame Cynthia, elle, porte des jeans comme maman. Il a tout compris. Ces femmes s'habillent et se coiffent comme elles le veulent, et c'est tout. C'est sans importance et c'est tout!

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 * Soit dit en passant, une musulmane peut porter un foulard ostentatoire. J'en ai vu souvent, la plus récente la semaine dernière à Montréal. Son foulard était un gigantesque monticule noué sur le dessus de sa tête, tout en dentelle blanche et en strass, frous-frous et broches dorées. Elle était superbe, dans les deux sens du termes: elle était très belle et bien habillée, mais elle était aussi flamboyante et impossible à manquer. 

** Dans la plupart des Émirats, le niqab est porté surtout par les femmes des classes supérieures et est avant tout un signe de leur respectabilité, plutôt qu'un signe de dévotion. Les femmes des classes sociales inférieures ne portent généralement que le simple foulard, parce qu'un niqab coûte cher et qu'il est dans le chemin de tous les travaux qu'elles ont à faire. Porter un niqab est souvent un signe que cette femme n'a pas à faire de travaux manuels, un peu comme ces Africaines-Américaines avec des ongles outrageusement longs en signe qu'elles n'ont pas à faire des ménages.